Texte et image : Nicole Giger aka Magsfrisch
Avec mon ami et mon fils d’un an, j’ai pu vivre une semaine de culture architecturale dans le Jura bernois et explorer la cuisine régionale. Outre des excursions dans les environs, l’accent a donc été mis sur la cuisine avec des ingrédients régionaux et selon des recettes locales. Je suis toujours impressionnée de voir à quel point on peut se rapprocher d’une région par le biais de la cuisine, des ingrédients et des goûts locaux. Faire ses courses dans des magasins à la ferme, suivre les spécialités en voiture et cuisiner et savourer dans une vieille maison classée monument historique sont des conditions merveilleuses pour faire notre connaissance avec la Maison Heidi et le Jura bernois.
Quand je repense à nos journées à la Maison Heidi, je me retrouve au milieu de rosettes de Tête de Moine qui dansent. Ces rosettes de fromage nous ont fait craquer, nous avons pris possession de la Girolle. Que ce soit au petit-déjeuner, à midi ou au dîner, cette spécialité fromagère locale est toujours arrivée sur notre table.
Mais bien sûr, le Jura bernois et la Maison Heidi ont bien plus à offrir que du fromage. J’entends les oiseaux chanter, je vois des vaches dans l’herbe, de nombreuses fontaines de village et j’aime beaucoup me souvenir de cette sensation de décélération, de calme. Je pense aux brocantes bien achalandées, aux saucisses fumées épicées et aux tresses au beurre de la boutique de la ferme. En tout cas, ces magasins à la ferme, généralement discrets, simples dans leur conception, mais grandioses dans leur réalisation - avec du pesto à l’ail des ours fait maison, du fromage frais, de nombreuses sortes de yaourts et bien sûr des seaux de double crème. Et j’en viens au mot-clé suivant : double crème. Je le savais par ouï-dire, dans le Jura bernois, on attache beaucoup d’importance à la double crème et on sait apprécier la graisse. Nous étions tout à fait dans la ligne et alors que la crème entière et la demi-crème se disputent encore leurs valeurs, la course est lancée depuis longtemps : si tu peux avoir de la double crème, alors tu prends de la double crème.
Dans la région, il y a aussi un sentier des sorcières et un sentier des dinosaures, un sentier Friedrich Dürrenmatt et une tour d’observation Mario Botta. Nous avons fait une excursion d’une journée à Bienne, visité l’abbaye de Bellelay, la patrie de la Tête de Moine, ainsi que le musée du fromage, et exploré Delémont et l’Ajoie. La semaine à la Maison Heidi a été à la fois détendue et passionnante, pleine de plaisir et de style. J’ai noté ici mes points forts.
LE MONUMENT
La Maison Heidi est déjà visible depuis la rue. Il s’agit d’une ancienne ferme avec un grand terrain, située à la périphérie du petit village de Souboz. La maison a été construite en 1684 et est considérée comme précieuse du point de vue de l’histoire de l’architecture et de la société. La maison comprend une partie habitable en pierre ainsi qu’une grande grange en bois. La pièce maîtresse est le fumoir voûté, au plafond duquel étaient autrefois suspendues des saucisses et autres produits carnés et sous lequel se déroulait la vie de famille.
Une légère odeur de fumée flotte encore dans l’air, très douce, discrète, il doit bien y avoir près d’un siècle entre les deux. Mais j’ai quand même l’impression de sentir encore quelque chose, de la fumée, de la suie. La fumée avait aussi une autre fonction : elle maintenait la charpente de la maison en éloignant la vermine. Pendant des décennies, la maison a été une propriété familiale, ses derniers occupants, une famille de huit enfants, l’ont quittée en 1943.
La ferme est restée vide pendant près de 80 ans jusqu’à ce que, soigneusement rénovée et restaurée, elle puisse accueillir des hôtes comme magnifique lieu de retraite et de vacances dans le Jura bernois. La maison fait forte impression avec sa cuisine fière, son haut plafond voûté, ses différents murs en bois et en pierre. L’interaction entre le neuf et l’ancien, entre les éléments rustiques et le design moderne est réussie et pleine d’ambiance. Les pichets en faïence décorés de bleu s’harmonisent avec les chaises bleues Horgenglarus, les fauteuils roses s’accordent avec la pierre naturelle gris clair. On s’y sent bien.
Heidi était d’ailleurs la dernière propriétaire de la maison, elle lui a maintenant donné son nom.
SOUBOZ - LE CALME AVANT L’ÉCURIE
Ce que la Maison Heidi et le petit village de Soubouz m’ont effectivement enlevé, c’est cette indicible Fear of Missing out, ou #fomo, cette peur de manquer quelque chose qui sévit souvent chez les Millenials. Alors que les générations précédentes l’avaient certainement déjà, mais ne l’avaient pas transformée en hashtag. En tout cas, à la fin de notre pause, je ne savais même plus que cette peur existait.
Derrière la maison, des chevaux sautent, il y a des alpagas, quelques vaches et beaucoup de verdure. De la chambre à coucher, le regard glisse sur de vastes prairies, des collines, jusqu’à un pâturage de vaches - des vaches encore. L’ambiance du soir dans le village est calme, recueillie, un vieux monsieur rentre ses poneys, on entend quelques moutons dans l’étable, une fontaine murmure. Parfois, une voiture traverse le hameau, rarement un bus. Les villageois* sont aimables, intéressés, ouverts à la discussion. Souboz est situé sur une petite colline, le soleil couchant baigne tout le village dans une lumière chaude. C’est à peu près à cela qu’il doit ressembler, le beau monde idéal.
La nuit, c’est le calme plat. Cela fait longtemps que nous n’avons pas aussi bien dormi.
Bienvenue à Biel ou Willkommen in Bienne
La ville bilingue de Bienne se trouve à moins de trois quarts d’heure en voiture. Français et allemand, allemand et français, ici, deux cœurs parlent réellement. Bienne est une ville horlogère, une ville ouvrière, une ville ouverte. La vieille ville, le lac de Bienne, le Seeland bernois, le style Bauhaus - tout cela est marquant ici. En planifiant une journée à Bienne, on fait tout exactement comme il faut. La ville invite à s’attarder, à flâner, à déguster des glaces au bord du lac. Pour un déjeuner tranquille, l’Ecluse est recommandé, tandis que la Villa Lindenegg propose du café et des gâteaux ou un dîner.
SAUCISSES FUMÉES
Les spécialités de viande fumée occupent une place d’honneur dans le patrimoine culinaire du Jura. Qu’il s’agisse de saucisses, de lard ou de spareribs, ces mets délicats sont presque toujours à base de viande de porc. La viande de porc est particulièrement mise à l’honneur le jour de la Saint-Martin en novembre, lorsque de nombreuses spécialités à base de porc sont servies. Mais pas seulement, loin de là. J’ai l’impression que les saucisses fumées font partie des aliments de base de la région.
Les magasins à la ferme sont en tout cas toujours bien approvisionnés et à Moutier, nous avons même trouvé un distributeur de saucisses fumées où nous avons pu nous procurer nos saucisses, même un dimanche. La marchandise du distributeur était excellente, ce qui ne nous a guère étonnés. Chaque charcutier a sa propre recette, les quantités de sel, les épices et la durée de fumage varient, mais au final, elles sont toutes épicées, fortes, fumées et très bonnes. Autrefois, le boucher n’était pas le seul à fumer. La cuisine de la Maison Heidi servait également de fumoir. Les murs noircis par la fumée en témoignent encore aujourd’hui.
GAGYNOLE - TROIS FRÈRES ET UNE DISTILLERIE
La commune de Souboz est un village de 120 âmes, elle n’a pas de bistrot, pas de magasin de village et pas de kiosque. Mais il a sa propre distillerie. Qui a besoin d’un Volg ou d’un Spunten quand on peut avoir du gin à la pression et un apéritif à la racine de gentiane en plus ? Justement. Ce dernier, le Souboziane, à base de racine de gentiane jaune, associé à des agrumes, du chasselas suisse et du sucre de betterave, a un goût délicieux. Un peu amer, un peu sucré, suffisamment fruité, tout simplement bon. Si vous vous demandez comment un si petit village parvient à produire son propre apéritif, adressez-vous aux trois frères Gyger. Ils ont fondé la distillerie - avec beaucoup de passion et un peu de patriotisme local. Car pour faire prospérer un business dans ce petit hameau, il faut du flair, du courage, de la confiance et sans doute un peu de folie. En plus de la souboziane et du gin, les garçons vendent aussi leur vodka locale.
TÊTE DE MOINE et la CRÈME DE LA CRÈME du JURA
Qu’il s’agisse du lait du magasin de la ferme, du Mutschli du village voisin, de la Double Crème d’ici ou du fromage à raclette de là - si vous aimez les produits laitiers, vous allez adorer cet endroit. La région compte de nombreuses fromageries qui produisent des délices. Qu’elles soient célèbres et légendaires comme la Tête de Moine ou petites et raffinées, produites par la famille de paysans d’à côté, il y en a pour tous les goûts. Nous avons parcouru l’assortiment de fromages, des grands noms aux petites découvertes, des fromages longuement affinés aux fromages frais de vache, nous avons acheté des mélanges à fondue (oui, il y en a même un à base de Tête de Moine !) et étudié les variétés de fromage à raclette (le safran et la Forestière ne sont qu’un début).
La Tête de Moine, un fromage au lait cru de forme cylindrique, doit être raclée pour développer tout son arôme. La tradition veut que Nicolas Crevoisier, ingénieur et propriétaire d’une entreprise de mécanique de précision à Lajoux, ait remarqué après une réception avec 150 personnes que le ’raclage’ était monstrueusement fatigant. Lorsque l’industrie horlogère a connu un ralentissement, il a cherché de nouveaux secteurs d’emploi dans son entreprise, s’est souvenu de cet effort et a inventé la Girolle. Lorsque le brevet s’est éteint au début du 21e siècle, son entreprise avait vendu plus de 3 millions de girolles. La raison pour laquelle la tête de moine s’appelle tête de moine donne d’ailleurs matière à discussion. Une histoire raconte que le fromage rappelle la tonsure des moines, une autre pense que cela vient du fait qu’on stockait autrefois les meules de fromage, un certain nombre de ’têtes’ par moine. La Tête de Moine est d’ailleurs protégée, elle ne peut être fabriquée qu’en Suisse.
La Double Crème, je l’ai dit au début, bénéficie d’un statut particulier dans la région. Lorsque j’ai cherché des recettes de la région, j’ai été étonnée de voir qu’ils avaient réussi à intégrer la double crème dans presque toutes les spécialités. Qu’il s’agisse d’un gâteau au fromage salé ou d’une tarte à la crème sucrée, d’un gratin de pommes de terre local ou d’une croûte au fromage, la double crème y trouve sa place.
Je me suis donc lancée dans deux recettes typiquement jurassiennes. Elles sont toutes deux réussies avec de la double crème. Ce sont aussi des aliments de confort. Alors que le toétché est un repas de fête paysan, les flouttes sont un plat de campagne rassasiant et réconfortant. Le toétché est en fait une tarte, mais dans sa forme jurassienne, il se présente avec une pâte levée. Je l’ai associée à des asperges, mais elle est tout aussi bonne avec des courgettes ou du potiron. Selon la saison ou les goûts. Autrefois, le glaçage du toétché était souvent réalisé avec du colostrum. Le colostrum est le premier lait du veau, c’est-à-dire le lait qui n’est disponible que les deux premiers jours et qui est particulièrement nourrissant. Les flouttes ne sont pas le snack idéal pour se rapprocher de sa forme de bikini, mais c’est justement ce qui parle en faveur de leur goût.
Les Flouettes
Les Flouttes
Un plat jurassien à base de pommes de terre - onctueux, nourrissant et bienfaisant.
Portions 4 personnes
INGRÉDIENTS
• 100 g de beurre
• 1 kg de pommes de terre (farineuses)
• un peu de sel
• 1 oignon
• gros sel de mer, poivre du moulin
• noix de muscade, fraîchement râpée
• 3 cs d’huile de colza
• 125 ml de crème entière
• 125 g Double Crème
• compote ou purée de pommes maison
INSTRUCTIONS
1 Eplucher les pommes de terre, les couper en dés et les faire cuire dans de l’eau légèrement salée. Égoutter ensuite les pommes de terre et les passer encore chaudes au presse-purée ou les écraser.
2 Hacher très finement l’oignon et l’ajouter à la purée de pommes de terre avec 50 g de beurre ramolli, du sel, du poivre et de la noix de muscade.
3 Plonger une cuillère à soupe dans l’huile et découper des quenelles en forme d’œufs dans la purée. Les déposer dans un plat à gratin. Assaisonner légèrement la crème et la verser sur les gnocchis. Faire cuire au four pendant 15 minutes. Avant de servir, faire chauffer le reste du beurre jusqu’à ce qu’il devienne brun clair. En arroser les flouttes. Servir avec de la compote de pommes maison.
Toétché
Toétché
Le gâteau à la crème jurassien - ici en version printanière avec des asperges. En été, les courgettes ou, en automne, la courge conviennent tout aussi bien.
Portions 4 personnes
INGRÉDIENTS
Pour la pâte
• 300 g de farine blanche
• 1/2 cc de sel
• 25 g de beurre
• 2 cs d’huile de colza
• 2 dl de lait
• 10 g de levure, émiettée
Pour la garniture & le topping
• 300 g de double crème
• 2 œufs
• Fils de safran
• Sel marin à gros grains, poivre du moulin
• 200 g d’asperges vertes
• 2 cs d’huile d’olive
• 1 cs de baume à la pomme
INSTRUCTIONS
1 Pour la pâte, mélanger la farine et le sel, former un puits. Ajouter le beurre et l’huile. Délayer le lait tiède et la levure, ajouter, pétrir jusqu’à obtention d’une pâte lisse. Couvrir et laisser doubler de volume à température ambiante.
2 Abaisser la pâte et la faire correspondre à la taille du moule à tarte. Tapisser le moule à tarte de papier sulfurisé ou le graisser très soigneusement et y verser la pâte, former le bord avec les doigts. Laisser lever à nouveau pendant 15 minutes. Piquer le fond avec une fourchette.
3 Pour la liaison, mélanger les oeufs avec la double crème et le safran, répartir sur la pâte. Cuire le gâteau pendant environ 20 à 25 minutes dans la moitié inférieure du four préchauffé à 220 degrés. Retirer et laisser refroidir un peu, puis démouler.
4 Laver les asperges, enlever les extrémités boisées et couper de fines lamelles d’asperges à l’aide d’un économe. Blanchir pendant 2 minutes, pas plus, dans de l’eau salée. Égoutter, assaisonner avec de l’huile d’olive et du baume de pomme, du sel et du poivre et déposer soigneusement sur le toétché. Déguster le plat tiède.
Nicole Giger a étudié la germanistique et travaille aujourd’hui comme rédactrice, blogueuse et gastronome. Ses grandes passions sont la cuisine et les voyages. C’est la cuisine authentique avec des ingrédients simples et bons qui la touche et ce sont les personnes qui la façonnent, cuisinent et mangent qui l’intéressent. Avec sa famille, elle vit et savoure à Zurich. Sur magsfrisch.com et Instagram , elle publie régulièrement des choses délicieuses pour le palais et l’esprit.
In einer Serie kocht sich Nicole durch die vier Landesteile der Schweiz, inspiriert von heimischen Produkten und Rezepten, ausgehend und angeregt von Baudenkmälern der Stiftung Ferien im Baudenkmal. Ihre Reisen lassen uns Baukultur durch ihre Kochtöpfe erleben und heimische Küche und Schweizer Gerichte entdecken.
Ihre ersten Ferien im Baudenkmal verbrachte Nicole in der Maison Heidi wo sie sich mit der Baukultur und Küche des Berner Jura bekannt machte. Die zweite Reise unternahm sie in die mittelalterliche Stüssihofstatt im Unterschächental, wo sie Urner Spezialitäten kochte.